JAMES LEG - L'animal en nous (2025)

Faudra-t-il encore une fois présenter James Leg ?
Oui, évidemment. Ne serait-ce que pour ceux qui restent à la traîne, subjugués, mesmérisés par les gros pontes du son, par les chimères qui remplissent des stades, trustent les grosses maisons de production et les ondes radios.

James Leg est né quelque part dans le 20ème siècle au Texas. Son père, prêcheur, lui a permis de baigner dans un authentique environnement gospel. Et de pianoter sur l’orgue de l’église. The son of a preacherman en quelque sorte. En grandissant, il se laissera volontiers influencer par de vieux bluesmen. Un verre de whisky, un paquet de clopes. Il devient pianiste et chanteur. Une sorte de Nina Simone au son agressif. Pourvu d’une voix puissante, il optera pour un orgue Fender Rhodes qu’il accompagnera d’un Fender Bass et des services d’un batteur. C’est dans cette configuration que Black Diamond Heavies voit le jour en 99. Le son est brutal, sale, débordant. Ce que Black Diamond Heavies a fait au blues, c’est un peu ce que Flat Duo Jets a fait au Rock. C’était tellement évident que personne n’y avait pensé. La claque est immédiate et le groupe écume le pays en petites dates dans de petites salles.
La légende s’organise.

Aujourd’hui, Black Diamond Heavies n’est plus. Mais le Révérend James Leg poursuit sa route toujours avec le même format clavier/voix/batteur. Il a fait un album en duo avec Left Lane Cruiser et compte aussi trois albums solo à son actif. Ce qui lui permet de faire des tournées outre-Atlantique, balisant ainsi l’Europe de son groove épais, de sa voix brisée et brisante, avant de poursuivre jusqu’en Russie.
C’est ainsi que je l’ai vu en live à Valence, durant l’une des quelques 20 dates programmées en France en 2017.

Le Mistral Palace, ancien cinéma, propose une salle minuscule qui aurait du mal à contenir 200 personnes. C’est l’endroit rêvé pour ce genre de show où la proximité confère quelque chose de rituel à tout événement. Après quelques bières, nous assistons au premier set. Un groupe de garage-rock de Saint-Etienne chauffe la scène de 12 mètres carrés. Le son nous absorbe, plongeant l’assistance dans un magma de riffs et de batterie cognée comme il se doit. L’effet est immédiat. La soirée risque d’être épique. Au bout d’une heure, tandis que les grateux hurlent leurs dernières mesures, la salle commence à se vider gentiment. Cap sur la buvette. Les musiciens rangent leur matos et nous rejoignent au comptoir. Tout ceci dans une ambiance sympathique. Au hasard d’une porte entrebâillée, je vois Leg occupé à poser pour quelques photos. Probablement pour un blog ou un journal local. Il se prête au jeu sans caprice, secouant sa chevelure pour dégager son visage. Puis il rajuste son chapeau et nous rejoint dehors pour fumer une cigarette. Il est l’un d’entre nous, lambda. Il serait anonyme si nous ne connaissions son visage. Son batteur, Matt Gaz, qui tenait le stand de cd et tee-shirts est de la même trempe. Simple, accessible.

Dans l’assistance nous sommes quelques barbus à casquette à arborer le style camionneur américain crasseux. Je note la présence d’un groupe d’enfants dont le plus jeune n’a pas 10 ans. Des anciens aussi, retraités. Autant d’hommes que de femmes. Un mélange éclectique. Des groupes de personnes plaisantent autour d’une bière, se racontent le concert de Machin ou de Truc. Tout ceci est très détendu.

Puis vient le moment d’installer le matos. Les mecs de la salle leur donnent un coup de main, évidemment mais Leg et Gaz portent eux-mêmes les Fender, les mallettes, les sacoches, les cymbales… Je tiens la porte à Leg afin que, les mains chargées de câbles et autres pédales (j’en compterai 5 sous les claviers durant le show) il puisse accéder à la scène. Il me gratifie d’un sourire aimable puis se rue à l’intérieur et installe tout son merdier en moins d’un quart d’heure. Câbles, pédales, jacks, adhésivage, sound check, ajustage de la hauteur du tabouret… Tout ceci est extrêmement rodé. Matt Gaz tape un peu sa caisse claire, son charleston. Tout est prêt en ce qui les concerne. Reste la technique qui règle encore quelques détails. Les deux musiciens se plaquent contre le mur à trois mètres de moi et discutent tranquillement en roulant une clope. Ils parlent doucement mais même à voix basse on entend le potentiel éraillé de Leg. Puis ils disparaissent une dizaine de minutes. Les derniers préparatifs techniques ne prennent pas très longtemps. Nous devons être 8 dans la salle à s’être faufilés avant le début du set. Il règne un calme agréable.

Quand enfin les musiciens reviennent, Leg s’installe derrière ses claviers, nous explique qu’il ne parle pas français, qu’il est désolé et nous demande si on attend le reste du public toujours occupé à descendre des bières au comptoir. Rien à foutre, qu’il commence sans eux. Il envoie direct quelques accords. La salle se remplit immédiatement. Les premières notes submergent chacun d’entre nous. Il me faut une dizaine de secondes pour encaisser et assimiler la chose. Ce son que j’ai entendu mille fois sur YouTube (dans des salles à Bristol, à Leeds, à Bordeaux, à Crissier, Sydney…) ou dans mon salon, le voici qui s’empare de moi. La basse résonne dans ma cage thoracique, les murs vacillent sous l’effet des baguettes du batteur, un grand technicien qui donne vite l’impression d’être deux tant il tape, double ses sons et tisse une dentelle brutale derrière la voix. La moitié de la ville tremble sous la vibration de l’ensemble. Les fondations devront faire l’objet de travaux de restauration.

Leg écrase les touches, gesticule. Emporté par le son, il se lève, se rassoit illico, donne l’impression qu’il va envoyer chier ses claviers et se jeter dans la foule. Sa tête oscille violemment, marquant le tempo électrique de même que sa botte qui martèle le sol. Il ôte sa veste, ce n’est que le troisième morceau mais déjà la sueur ruisselle sur la scène. Il salive, il bave, éructant des paroles rocailleuses, les cheveux collés au visage, la chemise collée au corps, les doigts esquissant des transes incoercibles sur les touches affolées. Certains solos donnent l’impression qu’une bagarre générale va éclater dans 10 secondes. D’autres font entrer la salle entière en lévitation dans l’espace-temps. Mais il se dégage aussi quelque chose de sensuel de ces claviers, une énergie sexuelle évidente. Des filles commencent à se dandiner devant la scène. Au bout d’un moment il me semble que j’appartiens à une tribu et que j’assiste à quelque rituel en l’honneur d’une divinité dont nous seuls avons conscience…

Le show se termine brutalement après que Leg ait annoncé «we got two more songs for you». Les musiciens quittent la scène d’un coup après ces deux derniers morceaux, ruisselants de sueur, et foncent vers les loges. Pas de salut. La messe est dite. C’est inattendu, c’est intense. Nous réclamons du rab avec force cris et sifflets. Les musiciens reviennent sous les ovations et rajoutent deux titres de plus, enflammant définitivement l’autel sur lequel ils encensent le dieu électrique depuis une heure. Le feu est intense, il ne restera même pas un tas de cendres à balayer. Tout disparaît dans l’éternité. Leur reprise de The Cure me laisse bouche bée. Puis ils quittent la salle de la même façon qu’ils ont tout lâché avant le rappel. Brutalement. Ils nous abandonnent à cette vibration sauvage qu’ils ont induite.

Nous sommes sonnés. La salle se vide doucement avec une sorte d’hésitation. Ce coup-ci ils ne reviendront pas. L’ensemble du show donne l’impression de n’avoir duré que 15 minutes. L’énergie est encore là, quelque part dans la salle. Un peu partout, dense. Nous en emportons une petite partie avec nous.

Je sors directement sans m’attarder à la buvette. A quoi bon ? Leg doit déjà être sous la douche, dans une heure il dormira dans une énième chambre d’hôtel. Dans un énième lit inconnu. Je parcours des rues silencieuses nocturnes de Valence jusqu’au parking où j’ai laissé ma voiture. Cette ville ne connait pas sa chance d’accueillir ce genre de phénomène. Nous autres allons reprendre le cours de nos existences et lui le sien. Après qu’il ait figé le temps à jamais dans la salle du Mistral Palace. Demain soir il doit jouer à Auxerre. Après demain à Arles. Et ainsi de suite. Toujours sur la route, distillant l’électricité brutale d’un blues authentique, personnel. Inondant de sueur des scènes timides et imprimant dans les murs de ces salles des accords brutaux et sensuels. Des choses élémentaires, qui nous parlent de près ou de loin….

Des choses animales.

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